IX

« Ne nous demande pas la formule qui puisse t’ouvrir des mondes, mais quelque syllabe difforme, sèche comme une branche. Aujourd’hui nous ne pouvons que te dire ce que nous ne sommes pas, ce que nous ne voulons pas »

E. Montale

La vie ne peut pas être qu’une chose à laquelle s’agripper. Il existe une idée qui effleure chacun, au moins une fois. Nous avons une possibilité qui nous rend plus libre que les dieux : celle de nous en aller. C’est une idée à savourer jusqu’au bout. Rien ni personne ne nous contraint à vivre. Pas même la mort. Ainsi, notre vie est une tabula rasa, une tablette qui n’a pas encore été écrite et contient donc tous les mots possibles. On ne peut vivre en esclaves avec une telle liberté. L’esclavage est fait pour ceux qui sont condamnés à vivre, ceux qui sont contraints à l’éternité, pas pour nous. Pour nous existe l’inconnu.

L’inconnu des ambiances dans lesquelles se perdre, des pensées jamais développées, de garanties qui sautent en l’air, d’inconnus parfaits auxquels offrir la vie. L’inconnu d’un monde auquel pouvoir finalement donner les excès de l’amour de soi. Le risque aussi. Le risque de la brutalité et de la peur. Le risque de voir finalement en face le mal de vivre. Tout cela touche ceux qui veulent en finir avec le métier d’exister.

Nos contemporains semblent vivre par métier. Ils se démènent haletants entre mille obligations, y compris la plus triste – celle de s’amuser. Ils masquent l’incapacité de déterminer leur propre vie par des activités détaillées et frénétiques, par une rapidité qui administre des comportements toujours plus passifs. Ils ne connaissent pas la légèreté du négatif.

Nous pouvons ne pas vivre, voilà la plus belle des raisons pour s’ouvrir avec fierté à la vie. « Il sera toujours temps de claquer la porte derrière soi ; autant se révolter et jouer » – ainsi parle le matérialisme de la joie.

Nous pouvons ne rien faire, voilà la plus belle des raisons d’agir. Recueillons en nous la puissance de tous les actes dont nous sommes capables, et aucun maître ne pourra jamais nous enlever la possibilité du refus. Ce que nous sommes et ce que nous voulons commencent par un non. De là naissent les seules raisons de se lever le matin. De là naissent les seules raisons de partir armés à l’assaut d’un ordre qui nous étouffe.

D’un coté il y a l’existant, avec ses habitudes et ses certitudes. Et de certitudes, ce poison social, on en meurt.

D’un autre coté, il y a l’insurrection, l’inconnu qui surgit dans la vie de tous. Le possible début d’une pratique exagérée de la liberté.

Comments are closed.